Quel âne

Quel âne je fais. On n’a pas idée d’être aussi bête. Une raison de plus de désespérer, comme j’en manquais. Vieux, moche, seul, méchant si j’en crois les histoires qui circulent sur mon compte, pas très futé, voire complètement idiot, selon les mêmes.

Toutes ces bonnes raisons qui m’ont poussé à vouloir en finir, avec la goutte d’eau qui a fait déborder le vase – une vieille pute, une vraie, grasse comme une otarie, des rides telles que tout espoir de ravalement était perdu, une moustache apparente, et je n’imagine pas le reste, bon, c’était la seule qui semblait dans mes prix, et voilà-t-y pas qu’elle me lance qu’elle pourra pas avec moi, même en se forçant, que pourtant elle en a vu mais que là, c’est pas possible, qu’elle y croyait pas, aux histoires sur les nains, mais que là, ça dépasse l’entendement, j’ai dû m’échapper de la foire.

Ça m’a foutu par terre. Ruiné, le moral. Même pas la force de discuter, pourtant j’en avais envie de mon petit coup annuel. Sou après sou que j’économise, j’achète des pilules bleues au fils de la concierge pour être certain d’assurer, mon quart d’heure de plaisir comme dirait l’autre. J’ai calculé, c’est l’équivalent de plusieurs litres de rouge, alors je me prive, forcément. Avec les mains c’est pas pareil et quand j’ai pris les pilules j’ai pas la patience. Y a plus qu’à en finir je me suis dit. Pour commencer finir le cubi que j’ai pu me payer et pis en finir tout court.

Je me suis dit : « Gustave tu n’as plus rien à faire ici, les vieilles putes ne veulent pas de toi, ton cubi est vide, ta femme s’est tirée y a douze ans, tes enfants veulent pas te voir, rien ne te retient », j’en aurais presque pleuré de m’entendre me dire ça. Les voisins ont gueulé si je pouvais me la fermer, alors j’ai tapé dans le mur, et j’ai pris les cachets et j’ai tout avalé la plaquette d’un coup en faisant passer avec le fond d’eau de Cologne que je me mets pour quand je vais aux putes, et les voisins y-z-ont encore tapé dans le mur en disant que je faisais trop de bruit. J’ai crié que je pouvais bien faire du bruit, vu qu’après j’allais dormir longtemps, très longtemps et qu’ils me feraient plus chier, au moins j’aurais gagné ça. Je suis sorti pour leur dire de vive voix et je sais pas pourquoi, l’appartement s’est mis à bouger en même temps que moi.

— Mesdemoiselles, nous avons un spécimen ce matin.

Je vois pas celui qui parle, sûrement parce que je suis attaché aux barreaux d’un lit, sanglé de partout, les pieds, les mains, le cou. Je vois juste un néon qui me tape dans les yeux. Ma tête ! J’ai l’armée rouge des grandes périodes qui défile dans ma tête. Le plafond est vert pâle, ça apaise un peu mais je suis comme dans du coton. Du coton sur lequel le forgeron céleste tape de toutes ses forces. J’espère que je me suis raté parce que si l’éternité c’est comme ça, c’est mal barré. J’essaierais bien de parler mais je n’arrive pas à faire le moindre mouvement. Pourvu que je ne sois pas paralysé. Je ne pense pas, j’ai comme l’impression que j’ai la gaule. Ça me rassure un peu.

— Je n’ai pas tout compris aux explications du brigadier qui l’a amené. Il a, semble-t-il, frappé un voisin en état d’ébriété après avoir tenté de se suicider en avalant des cachets, on va le garder au moins la journée, le brigadier repassera ce soir le chercher. C’est la première fois que je vois ça, ça a l’air d’être un cas. À priori ses jours ne sont pas en danger, mais il risque d’avoir une journée difficile avec ce qu’il a absorbé ! Et il paraît que sa femme, que la police a contactée, ne veut pas venir le chercher, dommage pour lui. Vous le gardez en observation.
— Bien sûr, Docteur Lambert, ne vous inquiétez pas, dit une petite voix
— Avec vous, ma petite Marina, je ne m’inquiète jamais. Vous passerez dans mon bureau me faire votre compte-rendu en fin d’après-midi, répond l’homme.

Une porte s’ouvre en grinçant, des pas s’éloignent, la porte se referme.

— Tu parles ! reprend la petite voix, je les connais ses séances de compte-rendu, j’en sors avec des crampes à la mâchoire et les genoux tout bleus, « vous comprenez, Marina, sur la table où je reçois mes patients ce ne serait pas très convenable », complète-t-elle en singeant la voix du docteur.
— Moi je suis sûre que c’est parce qu’il aime se prendre – et nous prendre – comme un homme des cavernes. Malgré sa chaîne en or, sa Rolex et son Espace, c’est ni plus ni moins qu’un homme des cavernes.
— Bon, il est encore bel homme, et puis peut-être qu’un jour il m’emmènera en vacances, ajoute la petite voix.
— Oui, sûrement, il paraît que les poules vont bientôt avoir des dents, ou quand sa femme aura divorcé, mais là, c’est pas sûr qu’il aura encore les moyens de t’emmener ailleurs qu’au Formule 1.

Elles éclatent de rire.

— En tout cas ça nous change des cas’soc.

Elles se penchent toutes les deux au-dessus de moi. Une antillaise et une petite rousse, le visage parsemé de taches de rousseur. Cette dernière attrape le drap qui me recouvre et le soulève d’un coup sec. Heureusement que la pièce est chauffée, parce qu’en dessous je suis à poil.

— Regarde ça ! dit-elle à l’intention de sa collègue. Quatre heures qu’il est comme ça, indique-t-elle en regardant mon sexe dressé à la verticale. D’une dureté à toute épreuve, on dirait une matraque de gendarme, pouffe-t-elle. D’après le doc, il a voulu se suicider au Viagra, on ne sait pas s’il l’a fait exprès ou s’il s’est gouré dans ses pilules. Dommage qu’il ne rentre pas dans mon sac à main, ajoute-t-elle, je ne fais même pas le tour avec mes deux mains ! Où pourrais-je donc le ranger, minaude-t-elle. J’ai bien une idée… ajoute-t-elle en pressant du pied le levier qui abaisse le lit qui se retrouve par terre.

J’ai tout à coup une vue en contre-plongée imprenable sous leurs blouses.

— Voyons voir si ça rentre.

Tout en parlant, elle passe une jambe par-dessus moi… Si je n’étais pas quasi-ligoté sur un lit d’hosto ce serait peut-être une forme de vision du paradis. D’où je suis, ses jambes apparaissent immenses et se perdent dans l’ombre de sa blouse, où je crois deviner la pâle blancheur d’une culotte. Sa main monte à sa bouche, elle l’humecte de salive avant de la passer prestement entre ses cuisses, d’écarter sa culotte – la blancheur de sa peau nue apparaît – et de passer ses doigts avec un mouvement de balancier. Elle s’accroupit, une main toujours s’activant entre les cuisses, l’autre qui se saisit de ma matraque.

— Vraiment, j’ai jamais vu ça !

Une vision du paradis. À quelques centimètres de mes yeux se balance un cul. Un cul de femme, parsemé de taches de rousseur, et une fente qui sépare deux globes bien rebondis, qui s’ouvre doucement sur un anneau plus sombre. Plus bas, elle frotte désormais mon gland de bas en haut et de haut en bas sur son sexe.

— Attends ! reprend l’antillaise.

Elle fouille une seconde dans la poche de sa blouse et montre à sa copine une capote.

— Tu connais le proverbe : « Ce n’est pas parce que c’est une belle bite, qu’il n’y a pas de virus qui l’habite ». Tiens-le, je vais t’aider, glousse-t-elle, ça me rappelle mes entraînements sur des bananes quand j’étais plus jeune.

Elle déroule le latex autour de ma queue. Sensation soudaine de compression. Elle en profite pour faire quelques va-et-vient de la main puis immobilise mon sexe, droit comme un i, un I majuscule. La petite rousse descend, millimètre par millimètre.

— Sympa ton épilation, cette fois-ci c’est la totale ? reprend l’antillaise.
— Oui, de temps en temps j’aime bien. Et Lambert aussi je crois. Ouah… doucement…
— Hé bé. Là, y’a que le gland qu’est rentré… le plus gros est passé !
— C’est incroyable…

Elle souffle. Reprend sa progression autour de ma colonne de chair enfermée dans le plastique.

— Il en reste encore la moitié !

Elle remonte un peu, redescend un peu. Recommence, engloutissant un peu plus de longueur.

— Aaaaaaah, lâche la petite rousse qui me prend pour un sextoy en se laissant finalement tomber complètement sur moi. C’est dingue comme effet, je le sens partout.

Elle se penche en avant, agrippe mes cuisses de ses doigts, et commence des mouvements lents du bassin, elle remonte, remonte, et se laisse tomber dans un râle. Deux fois, trois fois, dix fois, vingt fois. Malgré le latex, je sens que ça dégouline le long de mon membre, que ça glisse de mieux en mieux. Pourtant je ne ressens quasiment rien. Elle monte, descend, s’empale littéralement. Vingt minutes plus tard elle y est toujours, plus liquide que jamais, les cheveux trempés de sueur, je dirais qu’elle a joui quatre fois, et je vois mon gourdin, toujours aussi dur, toujours autant tendu vers le ciel, et je ne ressens toujours rien. La pièce est pleine de râles, entrecoupés de profonds hurlements. Sa collègue antillaise l’encourage, par moment la tient et l’aide à repartir. Haut, bas, haut, bas. Elle va avoir des cuisses de championne, ça vaut tous les entraînements du monde. Tout à coup, elle pousse un cri plus rauque que les autres et retombe de tout son poids sur moi. Son amie l’aide à se relever. Elle réajuste sa blouse. Dans un souffle, elle parvient à articuler

— Je crois… que… je… n’ai… jamais autant joui… de ma vie… c’est un robot… regarde…

Elle se penche et m’empoigne, me branle un peu.

— Il n’a pas bougé… toujours aussi dur… c’est quand même beau la chimie…
— C’est sûr ma chérie. Et si on croit le docteur, il va rester comme ça tout l’après-midi.
— Tu ne veux pas l’essayer, ajoute la rousse à l’endroit de sa collègue, tu vas adorer. Ou alors tu es toujours fidèle à ton Honoré ?
— Je ne dis pas que je ne suis pas tentée, mais c’est vrai qu’Honoré me comble. Tu sais, il est plus gros, et c’est du tout naturel, à peine boosté au rhum arrangé les soirs de pleine lune ! Par contre, j’en connais d’autres qui pourraient être tentées.

Et c’est ainsi que j’ai passé la journée entière à voir défiler des infirmières, de toutes tailles, de tous poids, des jeunes et des moins jeunes, des belles et des moins belles, j’ai surtout vu des fesses de toutes sortes monter et descendre, pendant des heures et des heures, sur mon pylône chauffé à blanc mais sans faiblir, trique gonflée à en péter le plastique, fer de lance dopé au pharmaceutique, la tête pleine de ah, ah, oh, oh, oh, oh, aaaaaaaaaaaaaah, heinnnnnn, oh, oh, oh, jusqu’au soir.

Le bouche-à-oreille a fonctionné, la salle n’a pas désempli, celles qui repartaient commentaient à celles qui arrivaient et attendaient – plus ou moins sagement. Les pantalons tombaient, les blouses s’ouvraient, découvrant des strings en dentelles, des culottes en coton, des culottes oubliées ailleurs, les commentaires allaient bon train, avec piston et vapeur. Chacune commençait par enfiler une capote – combien de kilomètres de plastique ont recouvert au total ma queue ? – avant de partir pour de longues chevauchées. Et la fatigue montait, des crampes dans les jambes, dans les fesses, au bout de quelques heures je n’étais plus qu’une crampe, et toujours la queue raide. Allais-je rester comme ça toute ma vie ? Il me revenait des souvenirs de blagues sur le fait de rester « comme ça » toute sa vie, allais-je mourir de priapisme dans un hôpital, sous les assauts conjugués d’infirmières nymphomanes, forcenées du piston, forçats du va-et-vient sur un pauvre malade ? Au fond, j’étais en train d’attraper une maladie nosocomiale d’un nouveau genre, et toujours les râles, et toujours ces culs montant et descendant sous mes yeux. Je crois que j’ai perdu conscience, les rires et les voix et les ah, ah, aaaaaah, hein, hein, hein, et les clac, clac, clac, des fesses sur ma peau se perdaient dans une brume. Combien de temps ?

Lorsque j’ai ouvert les yeux, le lit avait été remonté, j’étais dans une semi-pénombre, toujours attaché. J’avais mal partout mais la tension dans le bas-ventre semblait avoir disparu. Je ne pouvais en jurer – faute de pouvoir y mettre la main – mais mon érection semblait calmée. Ou bien était-ce que ces heures à limer des chattes toujours renouvelées l’avait usée au point que je ne sente plus rien ?
Quelques minutes plus tard, la porte s’est ouverte sur la voix de la petite rousse, qui disait :

— Il est là, docteur.
— Il dort ? Non, il a l’air d’avoir les yeux ouverts mais il a l’air complètement hébété.
— Il doit être fatigué, non ? Il est resté, comment dire « excité » toute la journée, si vous voyez ce que je veux dire, d’après ce qu’on m’ont dit les collègues pendant que je prenais mon repos.
— Je vois bien, ma petite Marina, mais avec vous, il faut s’attendre à ce genre de choses, ajouta-t-il en lui passant brièvement la main sur les fesses.
— Oh docteur ! Et pour lui, que fait-on ?
— Pour le moment, gardons-le en observation. Donnez-lui un somnifère pour la nuit, il nous laissera tranquille. Et ne vous trompez pas de pilules ! dit-il en riant.
— Pas de risque, docteur Lambert, compléta-t-elle lentement en me regardant avec un air gourmand.

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One Response to Quel âne

  1. Dudule 3 juin 2021 at 14:43 #

    Bravo à l’auteur, c’est drôle et bien écrit

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