Redevance télévisuelle

Petite histoire inspirée par la feuille verte que le Trésor Public m’a gentiment envoyée.
Une précision : ce looong texte est plutôt sentimental.


Fatigué, j’engage la voiture dans les derniers cent mètres à parcourir pour être enfin chez moi. La semaine n’a pas été un long fleuve tranquille, et j’ai hâte d’en avoir fini et de souffler au moins pour deux jours. Depuis que je suis redevenu globalement célibataire, ma vie a considérablement changé, je me suis même posé la question de la validité de cette maison trop grande pour moi, sauf quand je récupère la garde de mes enfants. Mais je suis bien content de m’y reposer en fin de semaine…

J’ouvre la portière, je coupe le contact et l’autoradio en même temps. J’aperçois enfin le seuil de ma porte et son havre de tranquillité quand, d’un coup, une voix féminine un rien acide m’apostrophe :

— Ah, vous voilà enfin, monsieur Jean Rios !
— Euh… oui ? À qui ai-je l’honneur !
— Cécile Adamsky, inspectrice du Trésor Public, contrôle de la redevance télévisuelle.

Ah zut ! Il ne manquait plus que ça ! En général, ils ne contrôlent pas, mais il a fallu que ça tombe sur moi ! Non, pas le loto, ni l’Euromillion mais le Trésor Public… Bah, une petite visite et hop, l’affaire sera réglée, d’autant que je n’ai effectivement aucun poste de télé à la maison. L’inspectrice en question me fait tout de suite songer à une dame patronnesse, lame de couteau, petites lunettes rondes, une silhouette sèche et rêche. Presque un corbeau en jupe longue. J’avoue que le soir qui tombe n’aide pas à enjoliver le tableau ! Je suis intrigué :

— Vous ne m’avez quand même attendu de toute la journée ?
— Vous surestimez votre importance ! Je suis venue hier matin, j’ai questionné vos voisins pour savoir quand vous pourriez être présent.
— Bel esprit de… conscience professionnelle…
— Je ne vous le fais pas dire !

Elle ouvre sa serviette, en extirpe une feuille et annonce :

— Vous avez déclaré n’avoir aucun récepteur télévisuel chez vous.
— Oui, en effet, je n’ai pas de télé chez moi.
— Étrange ! Vous avez deux antennes sur le toit… Je vous préviens d’avance : si vous acceptez de reconnaître maintenant la fraude, l’amende sera minorée.
— Les antennes étaient déjà là quand j’ai acheté cette maison… Et puis, vous verrez bien par vous-même qu’il n’y a pas de télé chez moi.
— J’y compte bien ! D’autant que c’est étrange qu’un célibataire n’ait pas de récepteur chez lui… je trouve ça étrange et bizarre ! Pas vous ?
— Je vois que le Trésor Public est bien renseigné…

Elle ne répond pas, elle attend avec impatience que j’ouvre la porte. Sitôt fait, elle s’engouffre dans la maison à la recherche de l’objet du délit. À la lumière du couloir, l’impression qui émane de mon interlocutrice est un peu meilleure. À son grand dépit, elle constate que le salon ainsi que la salle à manger sont dépourvus de ce qu’elle s’attendait à trouver. La conscience tranquille, je déclare :

— Comme vous le constatez : rien !
— Ça ne veut rien dire. Il reste bien d’autres pièces, comme la cuisine, les chambres, la salle de bain, les toilettes…
— Les toilettes ?
— Oui, les toilettes. On y trouve souvent des petits postes.
— Ah bon ? Les gens sont si accros que ça ?
— Oui, surtout les footeux ! Bon, passons aux autres pièces !

Je m’incline légèrement, lui indiquant le couloir qui mène aux chambres et à la salle de bain. Ça devrait aller, tout est rangé ; enfin, plus ou moins…

Rien dans ma chambre, sauf mon grand lit qui a vécu des étreintes passionnées avec des dames, hélas, de passage. Rien non plus dans les autres chambres. Elle a bien regardé l’ordinateur d’un drôle d’œil, mais elle n’a pipé mot dessus. Toilettes et salle de bain : pas le moindre atome de téléviseur.

— C’est quoi, cette porte ? Celle de la cave ?
— Oui, ça descend à la cave. Vous croyez franchement que j’aurais planqué un poste dans une cave humide ?
— Moi, je ne crois rien, je constate. Et, croyez-moi, j’ai constaté des tas de choses à défier l’imagination !

J’ouvre la porte, une forte odeur d’humidité nous gifle la face. Elle hésite, puis descend précautionneusement les marches, une à une. Moi, je reste en haut, car je sais qu’en bas, mis à part quelques conserves et quelques bouteilles, il n’y a rien.

Elle remonte peu après. Elle continue sa fouille accompagnée de quelques toiles d’araignées. Les sourcils froncés, elle s’époussette méthodiquement, puis elle lève la tête. Au bout du couloir, elle avise une trappe :

— C’est le grenier ?
— Oui, c’est le grenier. Vous voulez y jeter un coup d’œil ?
— Bien sûr !
— Si ça vous chante ! Vous croyez franchement que je grimpe au grenier à chaque fois que je dois zieuter la télé ? Ça serait du sport, croyez-moi !
— Ah ! Vous avouez ?
— J’avoue quoi ?
— Que vous regardez du sport à la télé, vous !

Je me contente de lever les yeux au plafond. Je fais mine de la quitter, elle questionne :

— Vous faites quoi, là ?
— Vous voulez grimper là-haut, oui ou non ?
— Bien sûr que je veux grimper là-haut ! dit-elle, impérativement.
— Donc, il faut que je prenne l’escabeau…
— L’escabeau ?
— Oui, l’escabeau, sinon à moins de savoir bondir comme une puce ou faire de la lévitation, je vois mal comment vous iriez là-haut ! À moins que la téléportation ne soit un moyen de déplacement usuel des agents du Trésor Public ?
— C’est ça, moquez-vous ! On verra bien qui rira le dernier !!!

L’âme en paix comme l’enfant qui vient de naître, je quitte le couloir pour aller chercher l’escabeau, tout en priant intérieurement que ça soit la dernière chose que cette inspectrice visite chez moi !

Je reviens quelque temps après. Mon escabeau est miteux, rouillé de toutes parts, avec une allure peu engageante. J’installe cette chose instable sous la trappe :

— Voilà ! Il ne vous reste plus qu’à grimper dessus et soulever la trappe !

Elle regarde d’un drôle d’air l’escabeau qui mène à la trappe du grenier.

— Et vous croyez que je vais monter sur ce truc… branlant ?

L’adjectif m’amuse malgré moi. Je lui sors mon sourire numéro trois, celui avec toutes mes dents blanches, un tantinet carnassier :

— Si vous voulez tout constater par vous-même… du haut de cet escabeau branlant…
— Dans ce cas, passez le premier !
— Moi, je veux bien, mais…
— Mais quoi ?
— Je connais mon escabeau ! Mais dans votre cas, il faut bien que quelqu’un reste en bas pour le tenir ! De plus, je sais me mettre en appui sur les mains pour passer par-dessus, mais j’ai des doutes vous concernant…
— Vous me prenez pour quoi, vous ? Une cruche ? Tout ça pour mater mes jambes ou reluquer sous ma jupe ?

J’esquisse un sourire béat, celui du pervers doublé du crétin congénital, et je lui désigne l’escabeau :

— Montez au moins deux ou trois marches et jugez par vous-même de l’équilibre de la chose ! Moi, je reste sur le côté, ainsi je n’aurai pas le « bon » angle pour admirer vos dessous…
— Ça cache quoi ?
— Ça ne cache rien du tout. Montez, c’est tout, et constatez.
— Moui…

Elle monte sur la première marche. Elle me toise, l’air supérieur :

— Alors, je n’ai rien constaté de spécial !
— Deux ou trois marches…
— Soit, mais ça ne changera ri….heiiiin ?!

Je ne suis du genre à laisser une femme se casser la figure, même s’il s’agit d’une tête à claques. Je me précipite vers elle et mes mains enserrent sa taille – qu’elle a assez fine – afin de la maintenir en équilibre sur l’escabeau qui oscille dangereusement.

— Oui, bon, ça va ! dit-elle, mi-fâchée, mi-soulagée.
— Je n’ai rien dit…
— Mais vous n’en pensez pas moins, vous !!! Et vous pouvez me lâcher !

Tant pis, c’était bien la première chose vraiment agréable depuis que cette inspectrice est entrée chez moi. Elle époussette son tailleur puis regarde autour d’elle.

— Non, non, il n’y a pas d’ascenseur caché dans un placard…
— Je ne vous ai rien demandé ! rétorque-t-elle, les lèvres pincées.

Malgré une certaine fatigue, la situation m’amuse. Je songe fugacement à Ubu Roi, même si ça n’a rien à voir avec ce que je vis actuellement. Je reprends :

— Bon, cet escabeau, je vous le tiens ou pas ?
— Oui, oui, oui, tenez-le-moi ! Mais…
— Mais ?
— Mais n’en profitez pas ! Sinon, je vous colle une amende pour outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions !
— J’imagine bien la chose ! dis-je, goguenard.
— Et cessez de sourire stupidement, vous !

Avec un certain courage ou une certaine inconscience, elle grimpe les marches. Elle arrive assez vite sur la petite plateforme. C’est alors que je constate que la dame porte des chaussures à talons aiguilles d’une certaine hauteur. Quelque chose me dit que ça ne va pas être du gâteau pour passer la trappe !

— Vous n’avez pas plus haut ?

Je lève la tête pour répondre :

— Non, désolé, c’est la…
— NE REGARDEZ PAS !!!

Ah oui, j’avais oublié cette histoire de reluquer sous sa jupe. La fatigue de la semaine remonte en moi. Je soupire tout en baissant la tête :

— Non, désolé ! Si j’avais su qu’un jour, une charmante inspectrice du Trésor Public eût l’agréable initiative de venir visiter mon humble demeure, j’aurais alors tout fait pour installer un ascenseur de première qualité !
— Je ne vous sens pas très sincère, là…
— Oh, quelle perspicacité ! Bon, vous grimpez ou vous nous jouez la statue de la Liberté sur son piédestal ?
— Oh ça va ! Et maintenant, je fais comment ?
— Vous poussez la trappe sur la droite, à cause des charnières, vous attrapez le câble électrique qui est à gauche et vous me le donnez que je le branche sur une prise.
— Ah…

Peu après, le câble électrique pendouille sous mon nez. Je le branche aussitôt dans la prise juste dans le coin. La lumière fuse. Elle s’exclame :

— Houlà ! Il y a plein de choses là-haut ! Plein de cartons… N’y aurait-il pas un poste de télévision dans l’un d’entre eux ?
— Eh bien, allez donc vérifier !
— C’est ce que je vais faire ! D’autant qu’on dirait bien qu’il y a comme une sorte de coin aménagé…
— En effet, c’est là que je stocke ma collection de postes télévisuels, comme ça, je peux regarder les matches de foot sur dix-sept écrans différents, du noir au blanc jusqu’au 16/9…
— Je le savais !!!

Je soupire de lassitude. Je commence à comprendre pourquoi certains tribunaux sont remplis d’homicides mettant en jeu des paisibles citoyens au-dessus de tout soupçon !

Je l’entends qui s’escrime à tenter de monter au grenier, l’escabeau tangue dangereusement, j’ai du mal à le garder stable. Visiblement – pardon – auditivement, elle a des problèmes ! Elle retombe lourdement sur la petite plateforme ; si elle recommence trop souvent, elle risque de passer à travers ! Je soulève légèrement la tête : elle sautille littéralement pour tenter de passer ! C’est très mal parti !

Un dernier bond, elle tente de se mettre en appui sur ses coudes de part et d’autre de la trappe, elle cherche du pied l’extrémité de l’escabeau, mais elle ne le trouve pas. Elle panique, halène, ses pieds pédalant dans le vide. La situation m’inquiète un tantinet :

— Du calme, du calme ! Ne bougez pas les pieds comme ça !
— Placez immédiatement l’escabeau sous moi !
— OK, c’est ce que je tente de faire, mais arrêtez de vous agiter comme ça !
— Viiiiiite !!!

Elle panique plus encore, ses pieds s’agitent dans tous les sens. Soudain, elle donne un violent coup de pied dans l’escabeau qui valse à deux mètres de là, se fracassant dans un bruit peu engageant pour sa pérennité. Et pourtant je le tenais bien. Sans doute l’effet levier !

— Mais, nom de Dieu, calmez-vous !
— Nan ! L’escabeau, je veux l’escabeau ! Tout de suiiiiiite !!!

Ce qui devait arriver arriva : elle glisse dans un grand cri déchirant !

Quand c’est comme ça, on ne réfléchit pas de trop. Dans l’absolu, j’aurais eu plaisir à contempler cette foutue inspectrice s’écraser au sol comme une tomate bien mûre ! Mais hélas, je suis un homme et donc faillible : je l’ai récupérée au vol dans mes bras, cueillie comme un enfant.

Grand silence…

Avec cette femme dans les bras, je ne sais pas pourquoi, mais je me sens tout gauche. Pourtant, ce n’est pas la première fois que j’ai le plaisir d’avoir un membre du sexe opposé ainsi, mais, comment dire… est-ce un plaisir ? Quoique…

Grand silence qui continue…

Quoique, maintenant que je la regarde mieux, elle est moins dame patronnesse que prévue, elle est d’ailleurs particulièrement légère. À bien y regarder, elle est nettement moins moche qu’on pourrait le croire à prime vue. Bon, pas un mannequin, je vous l’accorde, mais quand même un beau petit lot. Plus je la dévisage, plus j’ai l’impression qu’elle fait exprès de s’enlaidir ainsi…

Grand silence qui dure…

Et puis, j’aime bien sa façon de rougir comme ça ! Elle n’aurait pas ce chignon qui la vieillit, elle serait même… Je m’égare ! N’empêche qu’elle est rudement mignonne comme ça, avec ses joues en feu, la bouche ouverte, ses lèvres que je… Non, non, je m’égare complètement !!! N’empêche que…

Grand silence qui commence à devenir gênant…

La décence voudrait que je la pose au sol, le plus délicatement possible, mais ce n’est pas possible, je suis comme figé. Je ne sais pas pourquoi, son parfum, le contact de son corps, ou simplement parce que j’aime les petites pestes ? Cette situation m’intrigue et m’embarrasse terriblement !

C’est finalement elle qui rompt le silence d’une petite voix :

— Merci… vous pouvez me reposer ?

C’est étrange, sa voix n’est plus du tout la même. L’expression qu’elle affiche sur son visage la change aussi du tout au tout. Elle est nettement plus jeune que ce qu’elle paraissait être, il y a peu. Je suis intrigué par cette subite métamorphose. Une vague idée chemine dans mon esprit.

— Vous… vous me reposez ? Oui ou non !?

Ah, on dirait que l’ancienne inspectrice refait surface, mais ce n’est pas tout à fait la bonne intonation. Je sors de ma torpeur en lui répondant :

— Hum… OK, je vous repose…
— Merci.
— Pas de quoi.

Elle me tourne partiellement le dos, elle en profite pour ajuster son tailleur froissé et arranger ses lunettes sur le bout de son nez. Je jurerais qu’elle tente de refaire une contenance détachée, mais le ton de sa voix la trahit :

— Bon, je crois que je vais devoir abandonner la visite de votre grenier !
— Pourquoi faites-vous ça ? dis-je d’une voix douce.

Elle se retourne, me regarde d’un drôle d’air, elle se mord fugacement les lèvres. Une bouffée de chaleur monte en moi. Elle répond l’air lointain :

— Pourquoi je fais ce métier ?
— Non… Pourquoi faites-vous ça ?
— Je… je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire…

Elle ne me regarde toujours pas, elle s’écarte même un peu. J’approche d’un pas. Elle recule aussitôt. Je m’adosse alors au mur :

— Oh si, vous avez parfaitement compris, mais puisque vous aimez les points sur « i », je me faire un plaisir de vous les mettre !
— Comment ça ?

Elle fait volte-face, j’ai à présent en face de moi l’inspectrice qui est entrée chez moi, il y a moins d’un quart d’heure. Mais je ne me démonte pas pour autant :

— Pourquoi vous obligez-vous à être imbuvable, infréquentable, si pète-sec ?
— Qu… co-comment osez-vous ?
— Ce n’est pas une réponse valable…

Elle serre les dents, ses yeux lancent des éclairs, ses poings fermés, les jointures blanchies sous l’effort. Elle pourrait bondir sur moi, elle le ferait sur le champ, même si j’accuse vingt centimètres de plus et au moins autant en kilos, enfin, presque le double. Elle siffle :

— Je ferai comme si je n’avais rien entendu, en… compensation du fait que vous m’ayez sauvegardée de la chute.
— Merci de votre mansuétude, mais ça ne répond pas à ma question…

Pour toute réponse, elle pivote sur ses talons et se dirige illico vers la salle à manger.

— Bon, je n’ai plus rien à faire ici : pas de poste télévisuel comme indiqué par votre déclaration. Dossier clos.
— Dossier toujours ouvert !

En trois pas, je la rejoins. Prestement, je la saisis par le bras et je la force à se retourner et à me répondre. Elle crispe les dents, elle gémit :

— Vous me faites mal, lâchez-moi tout de suite !
— Alors répondez !
— Je vous ai déjà remercié de m’avoir récupérée, ça devrait vous convenir !
— Compensation, pas remerciement… mais ce n’est pas le propos !
— Ah oui, et c’est quoi le propos ? lance-t-elle, en se tortillant.
— N’essayez pas de noyer le poisson ! Alors ?
— Alors quoi ?

Dans la catégorie « têtue et bourrique », elle n’est pas mal du tout. Elle n’est d’ailleurs pas mal du tout maintenant qu’elle n’arrive plus à se refaire le visage d’avant. Je décide d’employer les grands moyens. Je l’entraîne avec moi vers le grand miroir de ma salle de bain, elle résiste, elle crie, elle me martèle de son petit poing resté libre, mais je ne lâche pas prise.

Je la plante face au grand miroir, me tenant derrière elle, serrant ses épaules entre mes mains, comme un étau afin qu’elle ne puisse s’enfuir :

— Maintenant, regardez-vous !
— Vous me faites mal !
— Répondez !
— Répondre quoi ?

Elle se calme un peu, son visage se métamorphose à nouveau, mais de façon plus complète encore, je découvre peu à peu l’autre femme en elle, celle que j’avais entrevue tout à l’heure. C’en est même hallucinant. Elle sent que je ne lâcherai pas le morceau, et elle en même temps. Elle recommence à se pincer les lèvres, j’essaye de me contenir, trop tenté. Au bout d’un temps qui me parait à la fois long et court, elle demande :

— Que voulez-vous que je vous dise…
— Pourquoi faites-vous ça ? Pourquoi n’êtes-vous pas vous-même ?
— Pff, vous en savez quoi, vous, de mon métier ?
— Je crois que j’en ai une petite idée…
— Alors, pas besoin que je vous fasse un dessin.

Et elle se met doucement à pleurer. D’habitude, j’ai toujours l’air con face à une femme en larmes, mais, étrangement, pas cette fois-ci. Tout en la maintenant par les épaules, je la guide hors de la salle de bain, direction le salon où je la fais asseoir dans le canapé.

J’emboîte le pas pour aller vers la cuisine, je lui demande :

— Café, thé, coca, eau plate, eau gazeuse ?
— Coca light ou zéro… si vous avez…
— J’ai.

Et elle se mouche un bon coup. Je reviens trente secondes plus tard avec deux canettes et un verre. Je décapsule puis je lui tends le verre, elle le refuse tout en s’emparant de son coca qu’elle descend d’un seul trait à vitesse grand V. Je suis assez admiratif de la performance !

Elle me tend la canette vide avec un sacré air de défi malgré ses yeux rougis. Elle serre un peu les dents, visiblement pas très contente d’avoir été en position de faiblesse. Avant que ne survienne l’orage, je prends les devants :

— Ça va mieux ? Je comprends bien que ça ne doit pas être rose tous les jours pour vous, mais je crois que vous avez beaucoup plus à perdre à jouer ce rôle qu’à rester vous-même…
— Qu’est-ce que vous en savez, vous ? dit-elle, hargneuse.
— Je ne vais pas vous faire un cours de psycho, mais j’ai la singulière impression que vous valez nettement mieux que ce vous montrez durant votre boulot !
— Et alors ? C’est mon choix, non ?
— Vous faites comme vous le sentez, mais j’exprime mon avis. Je me doute bien que le Trésor Public ne demande pas des anges, mais entre anges et démons, il y a une marge…
— Vous croyez que vous m’apprenez quelque chose ? Si je me comporte comme ça, c’est parce qu’il y a une raison ! Vous ne savez rien de moi, vous !
— Non, je ne sais rien de vous, mais je sais que vous valez nettement mieux que cette harpie que vous… jouez. Point.

Elle me regarde d’une drôle de façon, puis elle se mouche à nouveau. Je lui tends un rouleau d’essuie-tout. Elle le prend en murmurant un vague merci. Je me détourne tandis qu’elle commence à s’essuyer les yeux.

— Bon, ce n’est pas tout ça, mais il faut que j’y aille ! Merci pour le sopalin !

Elle me plaque d’office le rouleau dans la main, tandis qu’elle se relève. Mais sa démarche est mal assurée, elle vacille sur ses jambes. La prenant à nouveau par les épaules, je la fais s’asseoir de force :

— Restez là ! Vous n’êtes pas en état !
— Je fais ce que je veux !
— Vous êtes infichue de faire trois pas. Vous êtes garée où ?
— Qui vous dit que je suis venue en voiture ?
— Vous êtes garée où ?
— Sur la place…

Je me retourne, je regarde la cuisine, et sans comprendre moi-même pourquoi, je déclare :

— Vous n’êtes pas en état de marcher jusque-là, ni de conduire. Vous aimez les pâtes à la carbonara ?
— Qu…
— Vous aimez ou vous n’aimez pas ?
— Ben… j’aime… mais…
— Très bien, j’en fais toujours de trop, une marotte de célibataire, comme ça j’en ai toujours pour le lendemain. Ne bougez pas, de toute façon, ça ira vite à faire, je n’ai plus qu’à faire chauffer l’eau, et ça sera OK pour dans dix à quinze minutes.

Elle renifle légèrement, puis me regarde étonnée :

— Pourquoi faites-vous ça ?
— Parce que vous n’êtes pas en état, je vous l’ai déjà dit.
— Que pour ça ?
— Parce que vous le valez bien ! Ça vous convient comme réponse ?
— Pub connue ! Comme dirait mon petit frère, c’est d’un relou !
— M’en fiche, je ne suis pas un « djeuns » mais un vieux machin qui a la trentaine bien entamée !

Elle sourit, elle est nettement plus… mignonne ainsi. Ses yeux sont toujours humides mais ils pétillent :

— Excusez-moi de vous contredire, mais d’après votre fiche, vous seriez plutôt dans la quarantaine…
— Seulement dans un petit mois, alors laissez-moi profiter de ma trentaine triomphante avant que je ne dégringole dans la quarantaine avachie !

Elle rit doucement.

Durant cette soirée étrange et improvisée, nous parlons de tout. Toujours cette manie qu’elle a de ponctuer ses fins de phrases par des « vous ». Et d’autres tics qu’elle possède, mais des tics mignons. Après les pâtes, nous nous installons confortablement dans le canapé et, sans que je ne lui demande quoi que ce soit, elle me raconte son métier, les problèmes, les gens, ce concours auquel elle aspire tellement pour changer de condition ; elle me raconte sa vie, ses hommes qui sont partis, sans m’expliquer exactement pourquoi, ces diverses trahisons, tous ces échecs, tous ces ratages. Elle me lance, l’air las :

— Vous comprenez pourquoi je suis dubitative envers les bonshommes.
— J’en ai autant à votre service, mesdames ! Ce qui ne m’empêche pas d’espérer, tout comme vous, vous espérez après votre concours.
— Ce n’est pas pareil !
— Conceptuellement, c’est kif-kif !
— Conceptuellement !? Vous en avez de ces expressions, vous !

Elle rit doucement puis boit son verre. L’atmosphère est à la fois douce et singulière, je ne sais pas comment la décrire autrement. Je suis heureux d’être avec elle, je suis détendu, nous parlons de tout et de rien, elle est souvent spirituelle, une certaine façon de sautiller de sujet en sujet, de biaiser. Cécile a parfois des conversations étranges, des phrases ambiguës…

— La vie végétative, vous en pensez quoi, vous ? demande-t-elle.
— Vous faites allusion à quoi ?
— À ces accidentés qui deviennent des légumes vivants, vous en pensez quoi, vous ?
— Si ça m’arrivait, je préfère alors qu’on m’euthanasie, oui, je préfère être mort plutôt que cette non-vie et cet acharnement thérapeutique.
— Et… vous oseriez l’appliquer à vos proches ?
— Seulement si c’était leur conviction. Même si ça ne serait pas facile à appliquer, il y a toujours une marge entre ce qu’on dit et ce qu’on ose faire. Si c’est leur souhait, dans ce cas, oui. Pourquoi cette question ? Vous avez décidément des sujets de conversation pas très gais !
— J’aime bien savoir… c’est tout.

Elle change aussitôt de thème en abordant la Côte d’Azur et ses plages souvent minimalistes. Je ne cherche plus à comprendre. La soirée continue, agréablement, avec ici et là des petites piques, des mini affrontements. Je m’amuse, elle aussi. Les heures passent vite, le soir tombe, la nuit s’installe. Puis d’un coup, elle dit :

— Désolée mais il faut que j’y aille… il est déjà tard !
— Oui, il est tard… je vous accompagne jusqu’à la place.
— Merci, dit-elle, simplement.

Dehors, il fait encore bon, malgré l’heure tardive. Quatre cents mètres plus loin, la place où attend sa voiture. Pendant que nous marchons, elle dit soudain :

— Excusez-moi pour tout à l’heure, c’est vrai que j’ai un peu poussé le bouchon quand je cherchais après votre poste de télé…
— Je ne m’en souviens plus…
— Oh si, que vous vous en souvenez ! Je ne sais pas comment vous le dire, mais quand je vous ai vu, je n’ai pas pu m’en empêcher, c’était plus fort que moi…
— Ah bon ? Et pourquoi ?
— Nous sommes arrivés, dit-elle, coupant court à la conversation.

Voilà, la soirée est finie, elle va repartir chez elle. Je me demande quoi faire maintenant : la laisser partir quand même ? Ou la retenir coûte que coûte ?

— Eh bien voilà… eh bien, merci pour tout… dit-elle.
— Oh pas de quoi…
— Si, si, j’ai passé une bonne soirée !
— Heureux de vous l’entendre dire…

Un certain silence s’installe, la place est vide, au loin, quelques rares voitures passent. Je me traite d’idiot, j’aurais dû bondir sur l’occasion en lui répondant : « si vous avez passé une bonne soirée, vous en accepterez sûrement d’autres… » Mais là, l’instant est passé, c’est toujours facile après, pas sur le moment… Décidément, aujourd’hui, j’ai l’esprit d’escalier !

Elle est adossée à sa voiture, les mains dans le dos, elle sourit étrangement :

— Et aussi merci…
— Et en quel honneur ?
— Vous n’avez pas tenté d’abuser de la situation…
— Ma maman m’a bien éduqué… enfin, de ce que j’ai pu en retenir !
— Vous remercierez votre maman pour moi.
— Je n’y manquerai pas !

Décidément, je suis infoutu de saisir la moindre occasion ! Tant pis si je m’y prends mal, mais je décide de me lancer à l’eau :

— Euh… demain, samedi, vous faites quoi ?

Elle sourit d’une façon encore plus ambiguë. Les mains toujours derrière le dos, elle s’appuie délibérément sur sa portière :

— Qu’est-ce que je fais ? Oh, ça dépend…
— Ah…
— Pourquoi faites-vous ça ? dit-elle d’une voix douce.

Je la regarde d’un drôle d’air, je me pince les lèvres. Une bouffée de chaleur monte en moi. Je réponds d’un air lointain :

— Pourquoi je fais quoi ?
— Non… Pourquoi faites-vous ça ?
— Je… je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire…

Elle me regarde, toujours de cette drôle de façon, elle se penche même un peu. Je recule d’un pas. Elle avance légèrement aussitôt. Je me fige tel un poteau, avec l’étrange de revivre une certaine situation :

— Oh si, Jean, vous avez parfaitement compris, mais puisque vous aimez les points sur « i », je vais me faire un plaisir de vous les mettre !
— Comment ça ?
— Embrassez-moi !

Je me serais attendu à pas mal de choses, sauf à cette demande – non – cet ordre, dit gentiment, dit malicieusement, mais un ordre quand même. Tout ce que je trouve à dire, c’est :

— Pardon ?
— Vous avez très bien compris : embrassez-moi !
— Là… comme ça… maintenant… !?
— Oui, pourquoi pas, n’est-ce pas ce qui vous tenterait, vous ? répond-elle, malicieusement.
— Oui… euh, non ! Enfin…
— Je ne vais tout de même pas arracher mon rétroviseur pour vous mettre face à vous-même, pour que vous puissiez voir votre visage, mais croyez-moi, ça vaut le déplacement ! Allez, avouez !

Je soupire, un poids énorme sur les épaules :

— Oui, bon, j’avoue !
— La suite…
— La suite ?
— Oui, la suite : vous avouez quoi ?
— Ça vous amuse, n’est-ce pas, d’inverser la situation ? Une vengeance ?

Elle balaye l’argument d’un petit geste significatif :

— J’ai largement les moyens de me venger, ne vous inquiétez pas là-dessus. Alors, cette suite ?

Elle ne lâchera pas le morceau, et puis, qu’elle s’amuse ou non, qu’ai-je à perdre ? Qu’elle se fiche de moi ? Quoique… c’est elle qui m’a demandé de l’embrasser… Et puis, je n’y comprends plus rien ! Je n’ai jamais rien compris aux femmes, c’est une évidence ! Et puis, tant pis, j’y vais :

— Oui, Cécile, vous me plaisez, vous me plaisez énormément ! J’aimerais beaucoup vous revoir le plus vite possible et le plus souvent…
— Pourquoi je vous plais ?
— Pourquoi voulez-vous que je vous embrasse ?
— Peut-être pour la même raison que vous…

Je me penche vers elle, elle ne bouge pas, elle me fixe toujours de ses grands yeux. J’approche ma bouche tout près de ses lèvres, elle ne bouge toujours pas. Alors je dépose un doux baiser, tout tendre. Ça me fait un effet surprenant, comme une décharge électrique ! Je me recule un peu, sans la lâcher ; elle pose une main à ses lèvres, stupéfaite.

— Qu… ?
— De deux choses, l’une : ou votre voiture a un faux contact…
— Possible… et l’autre possibilité ?
— Ou bien, c’est littéralement ce qu’on appelle… un coup de foudre…
— Et comment… vérifier ?
— Comme ça !

Je passe une main le long de sa taille et je l’attire contre moi, pour capturer avidement sa bouche, pour l’embrasser fiévreusement. Je ressens un grand choc, des fourmillements sur tout le corps, je suis pris de tremblements, de fièvre, de déraison. Elle aussi, si j’en crois ses doigts dans mes cheveux, dans mon cou, dans mon dos durant le très long baiser qui nous unit.

C’est finalement sa bouche qui me quitte, elle me regarde, le feu aux joues, échevelée, troublée. Je ne suis pas mieux. Elle semble reprendre son souffle. Je la garde toujours prisonnière de mes bras. Elle pose son front sur ma poitrine, sous mon menton :

— Je crois que nous pouvons conclure à la deuxième solution…
— Je crois aussi…
— Oui…

Je caresse ses cheveux, je lui glisse à l’oreille :

— Je crois aussi… que vous avez… ressenti les mêmes choses que moi !
— Désolée de vous contredire, mais il y a quelque chose que vous n’avez pas pu… « ressentir » comme moi…
— Ah bon ? Et quoi ?
— Une certaine… bosse… plus bas… Vous êtes très en forme, vous !
— Ah… euh…

Elle a l’art de me faire perdre mes moyens, j’ai l’air tout con, je fais quoi ? Je la garde contre moi et ma bosse, comme elle dit, ou bien, je me la joue gentleman ? Décidément, cette femme est une petite chipie à sa façon, mais je sais que j’aime les petites chipies, donc j’ai perdu d’avance ! Elle tranche pour moi en m’attirant à elle.

Un autre très long baiser…

Nous nous regardons, je veux la garder à moi, mais il est néanmoins trop tôt, même si je meurs d’envie d’explorer son corps, de la couvrir de baisers de la tête aux pieds et de réviser avec elle toutes les positions possibles et imaginables du Kama Soutra !

Elle se détache de moi, je vois bien qu’elle hésite, elle aussi. Elle s’installe au volant, elle met sa ceinture, puis elle abaisse la vitre, elle me regarde intensément. Je pose ma main sur la portière :

— Je meurs d’envie de vous demander de rester, mais ce ne serait pas raisonnable…
— Non, en effet, ce ne serait pas raisonnable…
— Serait-il raisonnable de vous demander de nous voir demain ?
— C’est en effet beaucoup plus raisonnable… demain, vers seize heures, devant chez vous… je vous invite dans un salon de thé.
— Dans un salon de thé ?
— Ma façon à moi de vous rendre la pareille…
— Ç’aurait plutôt été un dîner, dans ce cas, dis-je en souriant.
— Je sais, mais une femme bien élevée n’invite pas comme ça un monsieur. Le salon de thé est donc un bon moyen terme. Et puis… rien ne vous empêche de m’inviter demain soir…

Prestement, elle met le contact, elle se penche pour me donner un dernier baiser, puis elle part. Moi, durant tout ce temps, je n’ai réussi à rien dire ! Je regarde la voiture s’éloigner. À présent, je suis seul sur cette place, personne autour de moi, sauf son indéniable présence, son parfum, sa voix à mes oreilles. Je me pose des tas de questions, une surtout : comment en sommes-nous arrivés là ? À certains moments, j’ai cru déraper dans la quatrième dimension. Maintenant, j’en suis sûr : je suis en plein quatrième dimension, voire même en cinquième ! Une idée d’inversion…

Je soupire, je mets mes mains dans mes poches, puis je retourne chez moi, l’esprit assez chamboulé. Est-ce que je vais bien dormir ? Que faire jusqu’à demain, seize heures ? Sans m’en rendre compte, je suis devant chez moi, assez déboussolé. Je pousse la porte, je pars me coucher, la tête pleine d’elle, c’est le mieux que je puisse faire à présent !


Samedi. Inutile de décrire ce début de journée, la matinée et le début de l’après-midi ! Ce n’est pourtant pas la première fois que j’ai un rendez-vous avec une femme, mais c’est bien la première fois que je suis dans un tel état. Je resonge à la soirée d’hier, à tous ces actes manqués, toutes ces possibilités, ces impasses. Je suis comme devant un puzzle, j’ai presque tout reconstitué, mais il me manque visiblement des pièces pour que tout s’ajuste au mieux. Je secoue la tête. Je me demande pourquoi je me casse le crâne ainsi !

Alors j’attends qu’elle vienne devant chez moi…

Bras dessus, bras dessous, nous sommes sortis du salon de thé. Depuis seize heures, nous passons notre temps à nous faire des tas de petits bisous. Nous nous comportons comme des collégiens, mais même si j’ai bientôt le triple en âge, je me sens merveilleusement bien.

L’après-midi passe très vite, trop vite, main dans la main, nous nous baladons dans les magasins, les rues, les parcs. Nous parlons de tout et de rien ; parfois, elle change d’intonation, elle devient plus sévère puis, le plus souvent, elle redevient toute douce. Assise dans le parc, au bord du lac artificiel, elle s’anime concernant son futur concours :

— Vous réalisez que si j’ai ce fichu concours, ma vie change du tout au tout ! Finie la galère d’aller faire du porte-à-porte et d’affronter ces foutus fraudeurs !
— Ils ne sont pas tous fraudeurs…
— Si tous, pas un pour racheter l’autre ! dit-elle d’un ton plus dur, son regard perdu au lointain.
— Pas même moi ?
— Oh vous… je ne sais pas, vous avez simplement le bénéfice du doute, vous ! Mais le jour où je pourrais visiter votre grenier sans tomber dans vos bras, je serais fixée.
— Charmant pour moi !
— Non, c’est l’esprit administratif ! Tous coupables, sauf à preuve du contraire ! Et encore ! siffle-t-elle.

Je suis étonné de ce changement, une autre femme est à côté de moi, sans commune mesure avec celle avec qui je sortais il y a moins de trente secondes ! Son visage se durcit, ses yeux s’assombrissent, ses gestes deviennent saccadés, sa voix âpre.

Elle tourne sa tête vers moi, ses yeux sombres me fixent puis, sans transition, un léger sourire flotte sur ses lèvres. En moins de dix secondes, je récupère ma Cécile, celle qui me trouble tant. Je suis un peu inquiet, ça doit se voir sur mon visage, car elle met sa main sur ma joue puis dépose un doux baiser sur mes lèvres.

Par deux autres fois, je suis témoin de ce changement de caractère, de cette explosion diluée, de cette rage larvée. Qui est-elle exactement ?

Je n’ai pas le temps de me poser la question en détail, elle se lève :

— Marchons…
— OK…

Alors nous continuons notre balade autour du lac. Le silence se fait entre nous. J’aime le contact de ses doigts dans ma main. D’un coup, elle se lance :

— Vous devez vous demander qui je suis exactement… non ?
— Vous lisez dans mes pensées, Cécile ?
— Oh, c’est flagrant à votre visage…
— Admettez qu’il y a de quoi se poser quelques questions… On dirait qu’il y en vous deux femmes : une douce et une dure…
— C’est assez bien résumé… une douce et une dure… ou plutôt une qui espère et l’autre qui n’espère plus…
— Qui espère quoi ? dis-je, intrigué.
— J’ai bientôt trente-cinq ans, pas de foyer, pas d’enfant, rien, sauf un métier. Ça ne vous étonne pas, vous ?

Je m’arrête, je la regarde dans les yeux. Avec emphase, un sourire amer aux lèvres, je balaye l’air d’un grand mouvement inutile de la main, vers le lac :

— J’ai cinq ans de plus que vous, j’ai eu un foyer, cassé-fini ; deux enfants que je vois rarement ; un métier, mais finalement, rien de très folichon non plus. Sauf mes enfants, mais… enfin, j’aurais aimé les voir plus souvent qu’une fois tous les quinze jours. Finalement, le meilleur que j’ai pu réussir sont mes bouts de chou…
— Vous avez au moins ça… Bon, parlons peu, mais parlons bien. Que savez-vous de la bipolarité, la maladie ?
— C’est ça que vous avez ?
— Répondez !
— Sauf erreur de ma part, c’est une maladie du cerveau, d’origine biochimique, qui entraîne des changements subits du comportement. On a longtemps cru que ça ne se soignait pas, mais il existe des traitements.
— Vous êtes au courant, dites-moi, vous !
— C’est normal : dans un précédent boulot, j’avais un collègue qui en était atteint. Il devait souvent aller en maison de repos se faire soigner, mais il arrivait à s’en sortir.

Elle me regarde fixement :

— C’est mon cas… Vous voulez toujours de moi ?
— Vous avez une… singulière façon de présenter les choses !
— Répondez : vous voulez toujours de moi ? D’une… bipolaire ?
— Sauf erreur de ma part : ça se soigne, non ?
— Oui, ça se soigne, mais par des cures de repos, enfermée, séquestrée…

Elle serre les poings, broyant mes doigts. Elle s’en aperçoit, elle rougit, elle s’excuse :

— Oh pardon ! Je… je ne voulais pas…
— Pas grave. Je vais vous donner ma réponse, elle vaut ce qu’elle vaut, vous la trouverez un peu cynique ou désabusée. Peu importe, vous y prendrez ce que vous voudrez.
— Euh, c’est-à-dire ? Vous m’inquiétez, vous !
— C’est-à-dire que c’est toujours vous que je veux, je suis infoutu de vous dire le pourquoi du comment, mais c’est bien vous que je veux, bipolaire ou pas. Vous serez peut-être cinquante pour cent de votre temps en maison spécialisée, mais les autres cinquante pour cent seront à moi et rien qu’à moi. Et nos retrouvailles n’en seront que meilleures ! Je vous veux heureuse comme moi je veux l’être. Vous n’aimez pas les habitudes, celles qui tuent un couple ? Moi non plus. Votre maladie est en quelque sorte la garantie de notre couple, nous serons à cent pour cent ensemble, l’un pour l’autre. Mais d’autres fois, nous serons loin l’un de l’autre.
— C’est… comment dire… cynique ou effectivement désabusé. Comment pouvez-vous oser avouer une chose pareille, vous ?
— Quelle chose pareille ? Que je vous veux ou que notre couple ne le sera jamais à cent pour cent et que c’est justement notre chance ?
— Les deux ! Et vous parlez déjà de couple alors que nous ne nous connaissons que depuis hier ! Vous êtes pire que le TGV, vous !

J’avance un peu sur l’herbe, puis je m’assieds dessus, tout en ne lâchant pas sa main. Elle s’assoit de même. Je la regarde :

— Comme je vous l’ai déjà dit : vous m’attirez férocement, et ça, je n’y peux rien. Tout comme vous et votre maladie. Ce que je vous propose est finalement un marché, un deal.
— Un marché ? Vous êtes complètement à la masse, ou quoi ?
— Peut-être, mais posons le problème : vous êtes seule, avec personne sur qui vous reposer. Vrai ou faux ?
— Mais… je…
— Répondez : vrai ou faux ?
— Co… comment osez-vous ?

Elle me regarde furieusement, mais ne fait aucun geste pour partir ou même se lever. D’ailleurs, elle ne lâche même pas ma main. Je continue :

— J’ose parce que je n’ai rien à perdre ; ni vous d’ailleurs. J’attends toujours ma réponse, chacun son tour…
— Oui, c’est vrai : j’ai foiré toutes mes histoires avec cette fichue maladie, idem pour mes amis, hommes ou femmes. Enfin, pas tous…
— Bien, je poursuis : est-ce que je vous plais, oui ou non ?
— Vous y allez décidément franco, vous !
— Répondez, s’il vous plaît : est-ce que je vous plais ?
— Vous avez une drôle de façon de séduire les femmes, vous ! Si je suis avec vous aujourd’hui, Jean, c’est qu’il y a peut-être une raison…
— Donc je prends ça pour un « oui ». Vous savez, de votre côté, que vous me plaisez terriblement.
— Vous ne cessez pas de me le dire depuis quelques minutes ! Et je ne suis pas sourde ! Vous êtes infernal dans votre genre, vous !
— Sans doute, mais au moins, vous ne vous ennuyez pas ! N’est-ce pas ?
— Vous êtes infernal, vous ! C’est certain !
— Merci pour ce compliment qui me va droit au cœur… Nous nous plaisons, nous ne voulons plus rester seuls, nous avons la possibilité de « fabriquer » un couple qui ne sera jamais plan-plan, avec des phases d’éloignement, d’autres de bonheur fusionnel. À la fois, le feu et l’eau. Moi, je prends.

Je lui capture les deux mains, elle ouvre de grands yeux à la fois étonnés et effrayés. Je la regarde, je la contemple. Puis je demande :

— Et vous ?

Elle déglutit, détourne la tête. Un certain silence, les enfants qui jouent au lointain, les bruits de la ville. Elle pose son menton sur sa poitrine :

— Vous n’y allez pas par quatre chemins, vous !
— Je le reconnais. Mais j’en ai marre de tourner autour du pot, et finalement, de me retrouver le bec dans l’eau. Vous pouvez comprendre, je suppose ? Donc, je mets les choses au net, c’est tout.
— J’ai remarqué. C’est vrai que c’est clair et net ! Pendant que vous y êtes, vous n’avez pas d’autres… revendications ou exigences à formuler ?
— Du style ?
— Vous baissez la lunette des toilettes ou pas ? Votre steak, saignant ou à point ? Vos chaussettes, partout dans la maison ou directement dans la machine à laver ? Vous regardez quoi à la télé ? Oh pardon, j’oubliais, vous n’avez pas de télé, enfin, il paraît…
— C’est pas « il paraît » : je n’ai pas de poste. Mais en contrepartie, comme mes soirées sont donc libérées, je peux mieux m’occuper de celle qui vit avec moi…
— Vous jouez aux dominos tous les soirs ?
— J’adore le sport, surtout celui en chambre… dis-je, sournois.
— Que dois-je comprendre ?
— Vous ne voulez pas quand même la liste de toutes mes petites… manies sexuelles ?
— Si vous me le proposez si gentiment… Faites-moi la liste pour demain…

Elle sourit, son regard est lumineux, sa situation est peut-être étrange mais elle y prend visiblement goût. Je réponds :

— Soit, je vous ferai une liste détaillée, mais à la condition d’avoir la vôtre avant !
— Vous n’êtes pas gêné, vous ! Et vous croyez que je vais vous la donner comme ça ?
— C’est donnant-donnant, donc juste et équitable, comme tout ce que fait notre bien-aimée administration…
— Vous n’en loupez pas une, vous !
— Pas plus que vous. Reconnaissez que nous nous entendons bien, malgré nos chamailleries et que la vie à deux ne serait pas une mauvaise chose, aussi bien pour vous que pour moi. Je me trompe ?
— Je dois reconnaître que vous n’avez pas tout à fait tort…
— Donc, marché conclu ?

Elle secoue la tête :

— Vous êtes totalement à la masse, vous ! Complètement fou !
— Osez dire que ça vous déplaît ?
— C’est bien la première fois qu’un homme me fait ce coup-là. Et pourtant, j’en ai connu des tordus ! Mais, vous, vous décrochez à donf le pompon !
— Ça ne me dit toujours pas ce que vous…

Pas le temps de finir ma phrase, elle m’embrasse furieusement. Je réponds à son baiser avec la même fougue, nous roulons sur l’herbe. Je pense que je peux prendre ça pour une réponse positive…

Plus tard, au restaurant, elle extirpe un crayon de son sac et écrit sur la nappe en papier. Je la regarde, étonné. Je demande :

— Vous faites quoi ?
— Je fais ma liste… dit-elle, posément.
— Quelle liste ?
— Vous savez, celle de mes préférences sexuelles et de mes fantasmes ! N’oubliez pas de faire la vôtre ensuite, vous. Je vous passerai mon crayon.
— Je ne la demandais pas si vite…
— Je pense plutôt que vous n’en demandiez pas tant.
— Un point pour vous !

Peu après, elle déchire la nappe et me tend le bout de papier. J’écarquille les yeux : en effet, je n’en demandais pas tant, j’en ai même des sueurs froides, et chaud au bas du ventre ! Elle rit doucement :

— Et tâchez d’être aussi franc que moi, c’est notre deal, comme vous dites !
— Je ferais de mon mieux…
— Taratata, je veux tout, et pas une seule omission, sinon, notre marché est caduc !

Au dessert, je lui tends à mon tour ma liste. Elle la consulte, les sourcils levés. Elle se gratte légèrement la joue, puis répond, après s’être raclé la gorge :

— En effet, vous n’avez rien oublié… rien…
— Vous aussi, vous n’aviez rien oublié… non ?
— Siiiii… Redonnez-moi ma liste, allez !

Je lui donne, elle ajoute deux lignes. Elle me retend le papier. C’est à mon tout d’hausser les sourcils. Je passe ma langue sur mes lèvres :

— Je pense que, maintenant, nous sommes… comment dire… quittes ? au point ?
— Je le pense aussi…
— En tout cas, permettez-moi de vous dire que ça ouvre des… hum… perspectives…

Quand la glace arrive, je suis encore tout perplexe, mais secrètement ravi de la tournure de certains événements. Ce que j’ai pu lire laisse présager des folles nuits et même plus. J’en viens à me poser la question : serais-je à la hauteur ? Chaque chose en son temps, me dis-je en plongeant ma cuillère dans la coupe.


Oui, chaque chose en son temps, mais tout vient à point pour celui qui sait attendre.

Pour être franc, je n’ai pas attendu longtemps. Elle comme moi, nous avions du retard à rattraper, chose qui fut faite trois jours plus tard, juste le temps de modifier deux ou trois petites choses dans la maison…

Oh oui que ça en a ouvert, des perspectives ! Et même plus loin que prévu !

Pour être franc, je ne m’attendais pas à certaines choses, même si elles étaient en germe dans la liste qu’elle m’avait écrite lors de notre premier restaurant. Je ne m’attendais pas non plus à ma propre façon d’être…

Nous nous sommes littéralement jetés l’un sur l’autre, nous arrachant presque nos vêtements, nous embrassant férocement, sans répit. Sans avoir bien compris comment, nous nous sommes retrouvés nus, l’un sur l’autre, elle sur moi, moi en elle. Une cavalcade furieuse, sans tendresse, dans l’urgence d’un désir primaire.

La liste qu’elle avait faite trottait dans ma tête, lancinante. Elle m’avait prévenue qu’elle était plutôt dominatrice : elle ne croyait pas si bien dire. Le plus étrange est que je laissais faire, je me laissais faire, alors que d’habitude j’étais plutôt dans le rôle de l’asservisseur bien que, souvent, il y avait des limites que je n’osais franchir.

Pas elle…

Que je sois à elle, qu’elle demande, qu’elle exige, qu’elle ordonne, tout ça m’allait et j’exécutais. J’obéissais, et j’obéis toujours, d’autant plus que je suis largement payé en retour, la notion de tabou étant très lointaine pour Cécile, ma maîtresse, mon amante.

Embrasser, lécher, téter, sucer, engloutir, avaler, tout plein de choses qu’elle sait admirablement faire sur moi, totalement sur moi, même certaines choses les plus folles, celles qui ne viennent qu’aux esprits détraqués… À condition d’avoir été, d’être son jouet, sa petite chose, son chiot à ses pieds…

Un étrange équilibre, un marchandage permanent, trouble, pas très sain, mais si jouissif !

Maintenant, chaque soir, elle est là, je peux la regarder de tout mon saoul, la contempler, l’admirer, suivre les courbes graciles de son visage et de son corps du regard, sachant que d’ici très peu de temps, mes doigts suivront le même chemin.

Deux jours plus tard, alors qu’elle est vautrée nue sur mon torse, elle me demande :

— Si un jour, j’étais un légume, un corps sans vie, tu me débrancherais ?
— Je crois t’avoir déjà répondu…
— Et si j’étais autrement ?
— Comment ça, autrement ?
— Si je n’étais plus moi-même, une autre personne, même plus bonne à vivre…
— Tu as vraiment de ces sujets de conversation au mauvais moment !
— Comment ça, au mauvais moment ?
— Tu crois franchement que j’ai la tête à ce genre de conversation sérieuse et tragique ?
— Ah oui ? Et tu as la tête à quoi, toi ?

Ce fut très facile pour moi de retourner la situation, elle dessous et moi dessus !

— Moi, j’ai la tête à te bisouter, te câliner, te faire l’amour encore et encore !
— C’est ça ! Détourne la conversation !
— Néanmoins, ma chérie, je puis te promettre une chose !
— Ah ? Laquelle ?
— Je ne veux que ton bonheur et je m’y emploierai du mieux que je puis !
— Juré ?
— Juré !
— Promis ?
— Tu devrais savoir que je tiens mes promesses.

Elle a un regard étrange… Une sourde appréhension monte en moi, vite chassée par le désir que j’ai d’elle. Elle demande pourtant :

— Même en légume ?
— Même en légume ! En parlant de légume, je sens que…
— Que quoi ?
— Que je vais te dévorer toute crue !

Je l’embrasse dans le cou, elle rit. Je sens que les minutes qui vont venir seront chaudes, très chaudes. Une heure plus tard, je sais que ce n’est pas l’adjectif « chaud » qu’il fallait employer mais « brûlant » !

Comme brûlant est sa bouche autour de mon sexe, comme caressante est sa langue sur mon gland ! C’est un plaisir auquel je ne résiste pas, je me laisse aller ! Ses doigts s’emmêlent dans mes poils, sa main soupèse mes testicules, flattant leur peau si délicate. Cette sensation d’être ainsi choyé est divine, je flotte…

— Laisse-toi aller ! susurre-t-elle.
— Hum ?
— Oui, laisse-toi aller… lâche-toi en moi…

Et sa langue s’active, insidieuse, efficiente. Une main branle ma tige à sa base, l’autre malaxe délicatement mes couilles. C’est diablement efficace ! Quel plus grand plaisir que de se faire dorloter ainsi, sachant qu’on peut se laisser aller sans retenue ? Je me demande fugacement si elle… consommera tout… Un vieux cliché que celui de l’amante qui boit son homme… Et une si grande satisfaction et fierté pour l’homme en question ! Je suis cet homme, là, maintenant ; pas un autre, c’est moi l’heureux élu !

Je me sens à la fois arrogant et un tantinet stupide. Faire l’amour n’arrange pas vraiment les capacités intellectuelles, mais actuellement, c’est bien la dernière chose dont je me soucie. Peu m’importe d’être con, d’être stupidement con, pourvu que j’aie du sexe, que je le vive à fond, sans entrave, sans tabou !

Je songe à ce qu’elle m’a fait subir, il y a peu de temps. Je songe à ce que j’ai déjà reçu d’elle, ces caresses interdites, ces mots prohibés, ces actes défendus. S’il y a un enfer, je crois que j’y brûle déjà. Mais peu m’importe, nous vivons, nous respirons le sexe sans contrainte, sans passé, juste au présent.

Je me mords les lèvres, je ne vais pas résister longtemps à ce tarif ! Cette langue est trop… dangereuse ! Ces doigts qui s’activent sur ma hampe sont trop… trop tout, trop efficaces, trop sensuels, trop exigeants pour que je sache leur résister indéfiniment ! Je sens d’ailleurs quelques micro-spasmes émerger du fond de mon sexe érigé et choyé… Cette petite vicieuse le sait bien ! Du coup, elle persévère voluptueusement dans son travail de sape de ma résistance ! Je soupire bruyamment, je la vois qui s’active plus encore. Tant pis pour moi, je n’y arrive plus, je plane déjà, lointain…

Un dernier frisson, un dernier effort pour colmater la digue qui s’ébrèche de partout, puis le tsunami déferle, irrésistible ! Je me vide en elle, je remplis sa bouche de mon sperme chaud, gluant ! Sa langue visqueuse et brûlante continue son action dévastatrice, je continue à couler en elle, spasme après spasme, repu, vidé, comblé.

Sa bouche est si torride, sa langue si caressante, cet étrange mélange de sa chaleur, de sa douceur, de mon sperme et de sa salive autour de ma tige qui se ramollit déjà… Je sombre dans un demi-sommeil, encore conscient de ses efforts pour me nettoyer. Je souris béatement : une femme qui s’occupe de moi ainsi, c’est le paradis !

Le paradis… Mais un ciel éternellement bleu devient vite fade… Bien sûr, nous eûmes des orages, des noirs nuages par-dessus nos têtes. Histoire de mieux nous rejeter dans les bras l’un de l’autre ! Et découvrir ainsi encore plus loin d’autres contrées, d’autres plaisirs…

Je ne vais pas tenir à jour le catalogue de nos turpitudes sexuelles ; ce serait d’ailleurs une longue liste ! Et puis, mettre trop de crème chantilly sur son dessert le rend écœurant à la longue… Pas besoin non plus d’aller zieuter les DVD des stars ou amateurs du X pour avoir des idées ! Non, nous, ça vient naturellement, comme l’eau de la source, avec naturel.

Le temps s’écoule, doucement, paisiblement parfois, avec passion souvent, avec tous ces petits imprévus qui rendent belle la vie…

Oui, si belle la vie…


Le médecin a une sale tête, je n’aime pas beaucoup ça. Il tousse un peu, puis attaque :

— Ça va faire combien de temps que vous vivez avec Mademoiselle Adamsky ?
— Bientôt dix ans.
— Vous connaissez l’état de votre compagne, de ma patiente…
— Je sais qu’elle est bipolaire, mais que c’est stabilisé. C’est vrai que ces derniers temps, Cécile est plus instable, mais elle est aussi très fatiguée par sa ménopause précoce.
— Monsieur Rios, je ne vais pas tourner autour du pot plus longtemps. Je suis moi-même très étonné que ma patiente ait pu tenir jusqu’à aujourd’hui. Vous lui avez indéniablement apporté la stabilité dont elle avait besoin pour lutter contre sa maladie. Mais, hélas, l’équilibre fragile est rompu par sa ménopause. Les chamboulements hormonaux et d’autres qu’elle subit actuellement favorisent l’extension de sa maladie.
— Vous êtes en train d’essayer de me dire quoi ? Que ça va aller de mal en pis ?
— Oui…
— Comment ça !? Il n’y a aucun traitement, aucune solution, des rayons ?
— J’ai oublié de vous préciser qu’une autre pathologie s’est invitée… Alzheimer…
— Alzheimer ? Mais comment ?
— Alzheimer, bipolarité, dédoublement de personnalité, tout ça est neurologique, une pathologie en entraînant souvent une autre…

Je suis prostré sur mon siège. Je ne sais que trop bien ce que tout cela signifie, j’ai largement eu le temps de me documenter depuis dix ans. Je tente néanmoins une question, une espérance, un miracle :

— Aucune… aucun espoir ?
— Hélas, non.

Le sol semble s’effondrer sous moi. En un instant, nos dix ans de bonheur défilent sous mes yeux. Je demande d’une voix morne :

— Combien de temps lui reste-t-il ?
— Dans le meilleur des cas, douze à dix-huit mois.
— Si peu ?
— Oui, si peu. Il va falloir que vous l’aidiez à…

Je le coupe, agressivement :

— Parce que vous croyez franchement que je vais l’abandonner, la planter là sur place ?
— Moi, je ne crois rien, mais il va falloir que je vous explique ce qui va arriver, et croyez-moi, ça ne va pas être facile. Mais je préfère vous mettre au courant avant, par honnêteté. Sachez que nous disposons d’établissements spécialisés.
— Expliquez-moi…

Et il m’explique : le changement de caractère, la perte de contrôle, les absences, les réactions brusques et brutales, les injures, la méchanceté, les sangles, la camisole. Je comprends mieux le sens d’« établissements spécialisés ». À la fin, je le questionne :

— Et… elle sait tout ça ?
— Oui, elle le sait déjà depuis bien longtemps.

L’entretien est clos, je pars, déboussolé. Marchant mécaniquement, je retourne à la petite salle où nous étions quand nous sommes arrivés. Elle est là, le trait défait, anéantie. Sans me regarder, elle me lance :

— Quitte-moi !
— Comment ça ? Pourquoi veux-tu que je te quitte ?
— Il ne t’a rien dit ?
— Si, chérie, je sais tout… tout de A à Z.
— Et ça ne te fait pas peur, à toi ?
— Honnêtement, si. Mais nous avons toujours été ensembles depuis dix ans, je t’aime toujours comme aux premiers jours et je ne veux, je ne vais certainement pas te quitter alors que tu as justement besoin de moi.

Elle me regarde d’un air presque mauvais, malgré un vague sourire :

— Je n’ai pas besoin de toi ! Pas besoin de ta pitié !
— C’est ça, va donc faire un petit tour dans les « établissements spécialisés ». Non, jusqu’à présent, nous avons réussi contre la maladie, nous continuerons.
— Nous ne gagnerons pas, tu sais, mon chéri, nous ne gagnerons pas…
— Peut-être, mais nous aurons au moins gagné des années, des mois, des jours contre elle !

Nous rentrons à la maison, Cécile est prostrée sur son siège durant tout le parcours. Moi-même, je ne vaux pas mieux. Je croise des publicités imbéciles qui étalent un bonheur factice. Comme si on pouvait être heureux avec une poudre à récurer ! Moi, je ne demande rien d’autre que de vivre avec celle que j’aime, et que le reste du monde nous oublie, que nous vieillissons ensembles, main dans la main. Rien de plus. Je hurle intérieurement contre ce foutu destin, cette vie de merde, tous ces cons qui ne savent pas qu’ils sont malgré tout heureux, ces crétins qui se lamentent pour une peccadille.

Je suis en rage ; pourtant, avec Cécile, je savais que le chemin ne serait pas facile. Je croyais narguer le destin, être plus fort. Celui-ci a attendu bien sagement dans son coin, se faisant oublier et, paf, en pleine poire ! Si je n’avais le volant en main, j’applaudirais ! Saloperie de destin, va !

Soudain, je bifurque sur une petite route, puis quelques centaines de mètres plus loin, je freine et je me range sur le bas-côté. Elle me regarde d’un air stupéfait :

— Tu fais quoi, là ?
— Descends, s’il te plaît…
— Mais pour faire quoi ?
— Descends, s’il te plaît, ma chérie.

Elle est à présent hors de la voiture, je lui prends la main, délicatement, puis je l’entraîne à travers champs, vers le petit bois. Elle me suit sans trop de résistance. Peu après, toujours main dans la main, nous somme face à un étang qui scintille sous le soleil. Sans préambule, je l’embrasse férocement, nos bouches se soudent l’une à l’autre, nous avons soif de vie, d’aimer, d’être encore pour quelques instants plus fort que tout l’univers.

— Qu’est-ce qui te prend ? demande-t-elle, me fixant dans les yeux.
— Il me prend que nous allons partir, loin d’ici !
— Tu es fou, complètement à la masse, toi ! Comment veux-tu faire, hein ?
— Tu peux te mettre en disponibilité, il me semble. Quant à moi, je peux toujours m’arranger.
— Tu sais très bien que ce n’est pas possible, un beau rêve mais irréalisable.
— Ah oui ? C’est toujours quand on n’y croit pas qu’on n’y arrive pas ! Tu me diras que c’est simpliste, et alors ? Tu te souviens de notre premier rendez-vous ? Je reconnais qu’il y avait mieux pour séduire une femme mais ça va faire dix ans que nous sommes ensembles. Tu aurais parié un kopeck sur notre relation quand tu as mis les pieds chez moi, à chercher ma télévision dans tous les coins ? Non.
— Tu as de ces façons de présenter les choses, toi… Comme toujours d’ailleurs ! Écoute, il ne faut rien précipiter, mais je te promets d’y réfléchir.

Elle y a réfléchi, en effet. Moins de deux mois plus tard, elle prenait un congé sans solde, le temps de tout clôturer. Maintenant, depuis un bon mois, nous sommes en quasi-vacances et nous en sommes à notre troisième séjour. C’est pratique d’avoir des relations avec une agence de voyage, surtout en hors saison ! Le renouvellement de la voiture attendra un peu.

Nous voici loin de chez nous, ailleurs, le soleil, la mer, aucun nuage dans le ciel depuis ce midi, depuis que l’avion a atterri. La chambre est vaste, spacieuse. Nous venons juste de finir de manger après avoir passé la quasi-totalité de l’après-midi dans la piscine. Je sais, ce n’est pas très original, mais ça détend, ça repose.

Main dans la main, nous traversons différents couloirs aux colonnes marbrées, aux lourdes tentures. La lourde porte de notre chambre s’ouvre. Cécile se jette à l’intérieur et me tire par la main. J’ai juste le temps de claquer tant bien que mal la porte derrière moi, que je suis happé dans la chambre. Elle me pousse sur le lit puis se jette sur moi, sa bouche vorace sur la mienne.

Encore heureux que nous soyons en hors saison, sinon nos voisins auraient eu de quoi se plaindre ! Pour tout dire, nous ne sommes pas silencieux, le lit non plus ! La nuit commence dehors, la baie vitrée est légèrement entrouverte, l’air frais fait du bien dans la chaleur de notre frénésie ! Le lit est déjà un champ de bataille, les oreillers et les draps sont déjà au sol pour la plupart d’entre eux ! Nous nous en fichons éperdument !

Ca va faire dix ans que nous sommes ensemble, dix ans que nous nous découvrons chaque jour, dix ans à chercher à nous apprivoiser mutuellement, malgré nos têtes de mule respectives, dix ans à construire notre bonheur… Dix ans d’amour, de tendres sentiments, de folies nocturnes. Je sais ce qu’elle désire, je sais comment elle le désire ; le privilège de se mettre au mieux au diapason de celle qu’on aime !

Il est vrai qu’il m’arrive encore de me planter en beauté… Mais au moins j’essaye de faire au mieux, autant qu’elle aussi, de son côté, fait du mieux pour me rendre heureux.

Il va être bientôt minuit, elle a déjà joui de multiples fois, mais elle adore ça. Au début, elle est plutôt passive, c’est à moi de la « chauffer » en quelque sorte… Il faut de nombreux câlins, de bisous, d’agaceries. Je joue avec ses seins tout dressés, je taquine ses tétons tout rouges sous le désir. J’explore du bout de ma langue son intimité, je contourne avec délicatesse son bouton rose, je glisse le long de ses lèvres intimes, elle jouit ainsi une première fois, doucement, puis une seconde, puis d’autres fois parfois, le tout en crescendo. Alors je me frotte à elle, nos sexes collés l’un à l’autre, mon frein à l’orée de son clitoris déjà très turgescent. Elle soupire d’aise. D’autres plaisirs, d’autres jouissances. Longtemps. Puis je me glisse en elle, lentement, posément, et alors commence une longue montée vers d’autres cieux…

Elle est sur moi, dans une de ses positions préférées, celle où elle me chevauche impudiquement, totalement, rivée, vissée sur mon pieu, pivotant autour de lui comme l’axe du monde, s’en servant comme d’un jouet, l’épousant comme un être aimé.

Moi, je vois son corps adoré, ses seins qui gigotent lubriquement sous ses assauts, son ventre rond oscillant, ses hanches que je pétris, son menton vers le plafond, ses petits cris, son souffle court. C’est primal, c’est bestial, mais c’est bon, si bon !

Je vois ma bite entrer et sortir de ses lèvres luisantes, je la vois s’enfoncer sans répit, sans vergogne, sans lassitude. Je voudrais la remplir, occuper tout son vagin, l’exploser, la faire mourir de plaisir, la dévorer même. J’ai du mal à me contenir, je veux rester dur pour elle, pour moi, faire durer à l’infini ce moment où elle est sur moi et moi en elle, cet instant où c’est elle qui dirige tout, où c’est elle qui s’offre son plaisir, où c’est elle l’impudique, celle qui désire, qui veut et qui prend.

Ses ongles rentrent dans ma chair, mes bras souffrent, son plaisir s’annonce, ses cris redoublent, ses paroles sont incohérentes. Ses griffes entrent en moi, je serre les dents, son corps s’agite, des vagues rayonnent sur sa chair, sa peau, ses seins ballotant sous ses vastes et brutales secousses.

Un cri, un seul, un long hululement, animal…

Mes bras sont en sang, ma queue est torturée sous ses soubresauts déments, Cécile se tord, ondule, vacille, vibre ! Un instant de folie, d’abandon ! Soudain, comme vidée, épuisée, elle s’affaisse sur moi, son nez dans mon cou, son bassin frissonne toujours, impudiquement, son vagin convulsif enserre ma barre plantée en elle. Son souffle rauque et chaud à mon oreille, son plaisir qui se dilue dans tout son corps, ce plaisir que je lui ai donné, cette allégresse sensuelle qu’elle s’est offerte…

Peu après, elle est à nouveau dressée au-dessus de moi, conquérante, fière. Son regard trouble planté dans le mien semble me dire : tu es à moi, je profite de toi, je veux tout de toi ! Moi, je résiste toujours contre la tentation de me vider en elle, de la remplir dans ses moindres recoins. Je sais ce qu’elle attend de moi, ce qu’elle exige de moi, depuis les dix ans que nous sommes ensembles. Je veux la mener à l’épuisement, qu’elle devienne folle de ma queue sur laquelle elle s’enfonce, elle se plante sans pudeur. D’autres fois, nous avons été très loin, aujourd’hui, nous irons peut-être encore plus loin, je ne sais pas…

Elle est toujours au-dessus de moi, remuant son bassin pour mieux me ressentir en elle, pour mieux profiter de mon endurance ! À ses dents qui se serrent, à la lueur étrange de ses yeux, je sais qu’une autre vague s’annonce.

Lentement de son front perle une goutte de sueur, je la vois nettement glisser le long de sa tempe puis de sa joue. Cécile n’y prend pas garde, elle est trop absorbée par le plaisir qui monte en elle ; moi, je regarde, fasciné, cette goutte descendre sensuellement le long de son cou. Elle glisse vers le bas, aidée par les innombrables sursauts du corps sur lequel elle coule, laissant à peine une fine trace humide.

Mon amante déchaînée entre et sort, irrésistiblement ; ma bite résiste du mieux qu’elle peut, malmenée dans cet antre chaud et dégoulinant qu’est cette chatte en furie. La goutte poursuit sa descente, elle épouse un sein, s’approche d’une aréole. C’est fascinant, étrange, sensuel.

Je serre les dents, mes testicules sont à deux doigts d’exploser tant la tension est forte, furieuse. La goutte contourne le téton, s’accroche aux aspérités de l’aréole puis essaye de continuer sa descente le long du sein convulsé.

J’agrippe les bords du matelas, mes doigts serrent le drap, cherchant le rebord du lit, pour mieux résister à cette ambiance de folie, à ce besoin irrépressible d’éclater ! En cet instant, j’ai envie d’exploser, de déflagrer, de la mordre, de la griffer, de la gifler, de la soumettre ! J’ai envie d’arracher sa peau, de déchiqueter ses seins, que son sang jaillisse !

La goutte de sueur arrive à se détacher de l’aréole, elle s’apprête à continuer son chemin. Soudain, Cécile plaque ses mains convulsives sur ses seins, écrasant la goutte, l’anéantissant. Jamais je ne saurai jusqu’où elle aurait plus descendre…

Elle écarte un peu plus les jambes comme pour mieux sombrer en moi, ses cris sont étranges, spasmodiques, son ventre se zèbre de contractions, de longs frissons la parcourent, elle se laisse totalement aller, elle coule dans son plaisir.

Soudain, elle serre les doigts, ses ongles rentrent dans la chair tendre de ses seins, elle crie, elle se cabre, la tête au ciel. Je me raidis, les yeux grands ouverts. Abasourdi, je vois alors des traces rouges perler entre ses doigts convulsifs.

Elle crie, elle hurle presque, son plaisir est intense, une vibration dans l’air, une lame d’air brûlant. Le sang goutte le long de ses ongles, elle crie toujours, une longue plainte à la fois sensuelle et rageuse.

Un fin filet rouge glisse sur un doigt, un autre épouse un premier sein, puis l’autre. Cécile me chevauche toujours, se visse autours de moi, plonge en moi. Sa cavalcade insensée me remue, m’épuise, ma tige malmenée a du mal en suivre le rythme endiablé qu’elle lui impose. C’est de la pure folie, un truc dément, je m’agrippe aux rebords du matelas, fasciné par le sang qui perle de plus en plus entre ses doigts voraces.

Soudain, elle s’immobilise, tétanisée. Une longue plainte s’échappe de ses lèvres, un gémissement animal, autre. Je relâche mes doigts, le temps semble figé, nous sommes deux statues rivées, soudées l’un à l’autre, définitivement, éternellement.

— Lèche !

Une autre voix, l’autre Cécile parle. Je me redresse, elle saisit sans ménagement ma tête entre ses mains ensanglantées, me plaquant contre sa poitrine. Ma langue caresse ses seins, son sang tout chaud. Je sens sur moi son regard fiévreux. Je lèche ses plaies, je bois son sang rouge, bouillant, onctueux, j’en veux encore plus, je la mordille, je presse mes lèvres sur elle pour en obtenir plus, pour la boire, pour vider.

Je sais qu’elle sourit…

D’autres turpitudes, d’autres ordres, la même folie diffuse… Nos morsures comme pour nous manger, nos insultes comme pour nous abreuver, nos étreintes furieuses, cette atmosphère décadente, déliquescente…

Dominante et dominé jusqu’à présent, d’autorité, j’inverse les rôles ; elle se débat, refuse puis se plie à ma volonté. Son regard est noir, le mien est plus sombre encore. Un instant suspendu, à nous affronter. Soudain elle sourit étrangement, elle sent qu’elle aura son plaisir pervers, celui qu’elle aime en final, comme un couronnement. Alors elle cède et moi, je prends !

Sa croupe rebondie est ma sombre exaltation, ma frénésie incongrue mais tellement jouissive ! Mes mains sur ses hanches, mon bas-ventre sur ses fesses, elle à quatre pattes et moi à genoux, j’entre et je sors avec délectation, la dominant, l’assouvissant.

Je coulisse sans effort dans sa mouille qui m’englue, entre ses lèvres détrempées. J’admire son mignon postérieur juste sous moi, ses reins creusés, son dos blanc, et les milles secousses qui zèbrent sa peau et son corps. Parfois, lors d’une secousse, j’entraperçois un sein qui ballotte près de son bras. C’est un tantinet vulgaire de voir cette masse un peu flasque s’agiter ainsi, dans une telle position, mais faire l’amour n’est pas forcément une activité de très haute tenue ! Je dirais même que plus c’est un peu (beaucoup) crapuleux sur les bords, mieux c’est !

Elle se presse contre moi, remue agréablement du popotin, tourbillonnant autour de l’axe que je lui enfonce sans trop de ménagement, tandis que je la maintiens fermement. Là, maintenant, c’est moi qui tiens le manche et qui le lui fais savoir. D’ailleurs, elle ne bronche pas, soumise et même demandeuse…

Je me retire momentanément, je me frotte sans vergogne entre ses fesses, juste avant de replonger voluptueusement en elle. C’est follement excitant ! Pourtant ce n’est pas la première fois que je le fais, ça fait même des années que je pratique avec Cécile, mais je ne m’en lasse pas ! Tout comme je ne me lasse pas de lui faire l’amour encore et toujours, sans raison valable, uniquement parce que c’est elle, rien qu’elle. Faut-il une raison ou être fou d’une personne ?

Puis je me décide, j’ai le manche maintenant, et j’escompte bien le lui faire sentir ! Alors posément, je me retire lentement, le faisant bien coulisser entre ses lèvres mouillées, puis je saisis le bout de ma barre entre mes doigts et, calmement, méthodiquement, je l’applique dans le creux de la petite cuvette de son anus déjà tout humectée.

Elle frémit. Je souris.

Fermement calé, je pousse lentement mais sûrement. Sa rondelle s’ouvre petit à petit, l’arrondi de mon gland s’enfonce déjà. De son côté, elle se met en appui sur ses bras, son postérieur bien mis en évidence, m’offrant une voie royale. Sans rémission, je continue ma lente avancée en elle, le gland disparaît peu à peu, mon frein s’engloutit en elle, ma tige de chair coulisse inexorablement. J’aurais pu y aller plus rapidement, plus brutalement, comme je l’ai déjà maintes fois fait, mais aujourd’hui, je veux m’offrir le plaisir de m’enfoncer en elle très longuement, de lui faire sentir millimètre par millimètre toute ma tige.

Elle soupire, elle gémit, elle grogne. Moi, je me maîtrise du mieux que je puis, car s’enfoncer ainsi est très dangereux pour son self-control ! Avec plaisir, je contemple la moitié de ma bite dissimulée en elle, je ressens terriblement bien les moindres aspérités de son étroit conduit. Une sensation d’enfer, hautement périlleuse, tant je dois lutter pour ne pas m’abandonner !

Toute ma tige est en elle, mes testicules butent sur sa chatte détrempée. Je suis à présent bien au fond de son fourreau tout chaud, dans cet endroit si maudit par tant de prédicateurs, honni par la morale bien pensante de nombre de siècles d’avant. Mais tellement fascinant !

C’est alors que retentit le signal de la folle cavalcade !

Peu m’importe le reste du monde, je la veux complètement soumise à mes coups de butoir ! Je la veux consentante à mon intrusion en elle ! Je coulisse en elle, ma tige la pistonnant sans répit, sans tendresse, dans une atmosphère de folie, dans le simple but d’aller en elle, toujours un peu plus loin, toujours un peu plus remplie, toujours un peu plus envahie ! Je ne ménage pas mes efforts, elle se cabre, s’entrouvre plus encore, sa rondelle totalement ouverte, son conduit complètement saturé par ma présence arrogante. Ma bite m’échauffe dans cet étroit couloir sombre, je n’en ai cure, je veux la défoncer, je veux l’enculer bestialement, sauvagement, animalement. Je veux exploser sa chair, exploser en elle !

J’agrippe comme un fou furieux sa croupe soumise, son corps qui m’appartient, cette femme qui est à présent mon esclave, dont la seule loi est mon plaisir, ma femme, mon amante, ma maîtresse, celle que j’aime et que je désire plus que tout, elle que je vénère et que j’asservis en même temps, celle que j’adore et que je salis.

J’explose, je fuse en elle, je me déverse, je l’envahis, je dépose ma marque en elle, je la remplis de moi-même. Je suis en elle, complètement en elle, irrémédiablement soudé à son corps, rivé dans cet endroit sombre, vissé dans ma turpitude, sale, sali, salaud mais tellement satisfait, béat !

Un temps suspendu, avachi sur elle… les minutes passent, je suis bien, si bien…

Je me retire, son sexe a une étrange couleur, texturé de rouge et de blanc, et aussi d’autres choses indéfinissables… Entre ses fesses légèrement rougies, son anus écarlate ruisselle, s’ouvre à mon regard. Je suis étrangement satisfait de moi. Je m’affale dans le lit, fatigué, repus ! Non, pas tout à fait : une dernière fois à exiger. Je me rehausse juste un peu sur l’oreiller, mon sexe avachi et gluant sous son nez. Pas besoin de parole, elle sait, elle fait.

Mort puis à nouveau vivant ; ténébreux puis à nouveau lumineux ; enfer puis paradis. Faire encore l’amour, toujours, encore, une nuit de folie au cours de laquelle je trouve toujours le moyen de revenir à la vie. Une nuit furieuse, sans état d’âme que deux corps qui se veulent, qui se prennent, qui se déchirent…

Un long gémissement, le sien, le mien, à l’unisson, harmonieux. Nos plaisirs, nos fantasmes, nos lubies assouvies, nos corps qui s’épanchent, qui s’écroulent, qui s’entremêlent, nos bras qui s’enlacent, nos mains qui se cherchent. Et toujours cette sourde plainte, ce souffle rauque qui nous unit…

Un chant du cygne… notre chant du cygne…


Les mois passent, l’état de Cécile empire, la plupart du temps, elle ne me reconnaît pas, son visage est tout autre, méconnaissable, haineux. Ses seules paroles sont des injures, peu importe qui soit présent. Parfois, elle est apathique, sans réaction. Rarement, elle est capable de me répondre, au ralenti. Une phrase complète, parfois deux. La toute dernière fois, par trois fois, un seul mot : « promesse ».

Je ne sais que trop bien ce que ça veut dire…

Dehors, le ciel est gris, sombre. Je ressens la même chose en moi. Je démarre la voiture rageusement. Mes idées sont confuses, même si je sais très bien, au fond de moi, que c’est la seule solution digne d’elle…

Je retourne la voir, une fois, deux fois, plusieurs fois… je temporise, un pas en avant, un en arrière. Au final, le temps passe mais ne résout rien.

Aujourd’hui, elle est là, attachée sur le lit, assommée par les tranquillisants, le regard vague, mi-clos. Ça me fait mal au cœur de la voir ainsi, inerte, légume. Mais c’est toujours mieux ainsi, plutôt que cette autre personne qui lui a prit tout son corps, son âme. Délicatement, je lui pose un garrot, elle ne réagit pas. Avec soin, je prépare l’injection comme je l’ai appris, il y a bien des années, quand une de mes amies était sous traitement.

Je tapote sur la seringue pour évacuer les bulles. Les bulles… C’est si dérisoire…

Un grand vide se fait en moi. Même si c’est idiot, même si ça ne sert à rien, même si ce n’est plus ma Cécile qui est étendue là, je dois lui parler.

— Je… j’ai été très heureux avec toi, ma chérie, je ne regrette franchement pas les années, toutes ces années de bonheur que tu as pu m’apporter. Mais… hélas, ma Cécile, ces années, elles sont derrière nous. Je… je t’avais fait une… promesse… je la tiens, je…

Je n’arrive plus à parler, à continuer. Même une simple phrase vraie comme « je t’aime », je ne sais plus la dire, elle reste bloquée dans ma gorge. Alors, j’expulse un peu de liquide, je pince son avant-bras et j’enfonce l’aiguille.

L’effet est foudroyant, à peine une secousse et ses yeux sont définitivement clos.


Le procès fut long, c’est aujourd’hui le verdict. Je m’en fous, tu n’es plus là depuis maintenant un an. Qui ai-je tué ? Ma Cécile ou cette étrangère qui vivait en elle ? Les gens me regardent d’un air attristé, certains disent que la loi est mal faite. Beaucoup disent que je ne suis plus que l’ombre de moi-même. J’ai déjà payé dix ans de bonheur d’une bien étrange façon…


Je viens juste de sortir de prison. Ça va faire maintenant deux heures que je suis chez nous. Malgré les volets clos, malgré l’odeur de renfermé, malgré la poussière sur les meubles, ta présence est toujours là. Je pose mon gros carton sur la table. Je le déballe avec soin. À la place d’honneur, dans le salon, j’installe une télévision que je ne brancherai jamais sur une prise électrique. Son écran vide sera ma seule et unique compagnie, le seul morceau palpable de toi parmi mes souvenirs…


Un grand merci à Cat Satum qui a révisé ce texte.

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